La température de la pression
2021-04-24 📖 9 min
Dans la cuisine, on manipule beaucoup de températures et parfois quelques pressions. Typiquement, j'ai dans une cocotte-minute, avec un indicateur arbitraire de niveaux de pression. Cette cocotte possède deux traits sur un bitoniau qui sort plus ou moins en fonction de la pression qui y règne à l'intérieur. La question que je me suis posé est « Quelle est la température à une barre, et à deux barres ? »
La cocotte
État initial
Cet article suppose que l'expérience se passe dans la vraie vie, dans ces conditions correctes : une cocotte avec de l'eau sous forme liquide en permanence, et suffisamment résistante pour ne pas exploser. Voici un petit schéma avec la zone de la valve grossie énormément pour mieux voir et comprendre le mécanisme :
On retrouve sur ce schéma les éléments suivants :
- La structure de l'autocuiseur, avec le couvercle dessus, le tout en gris ;
- Le piston (appelé en intro bitoniau) qui peut coulisser verticalement, en fonction de la pression dans la cocotte (ou l'action du doigt de l'utilisateur). Ce piston à quelques éléments significatifs :
- Sur la partie supérieure, deux traits rouges indiquant le niveau de pression à l'utilisateur ;
- Sur la partie inférieure, une pièce rouge qui coulisse hermétiquement dans le carter ;
- Le trou d'échappement de sécurité en jaune en cas de surpression ;
- Entre le carter et le piston, un ressort positionné verticalement (dans l'axe de déplacement) représenté de part et d'autre en noir, qui s'oppose à la pression à l'intérieur de la cocotte ;
- Des triangles verts aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur qui représentent la pression du gaz. Initialement, les deux sont équilibrés.
En cours de cuisson
Quand la cocotte est chauffée, l'eau s'évapore, et la pression augmente. C'est exactement le même principe qui fait que la pression dans les pneus (de voiture ou vélo) varie au cours de l'année même sans fuite d'air : en été, il fait plus chaud, la pression augmente (et inversement en hiver). C'est aussi la raison pour laquelle il faut vérifier la pression des pneus de voiture avant d'avoir roulé (c'est-à-dire à froid), car autrement la mesure est faussée.
ℹ️ Si on n'est pas convaincu, on peut être un peu plus rigoureux en faisant appel à la loi des gaz parfaits (PV=nRT), qu'on la transforme un peu (P=nRT/V):
- n : quantité de matière gazeuse, augmente car l'augmentation de la température provoque l'évaporation d'une partie de l'eau.
- R : constante des gaz parfaits, reste constante par définition,
- T : augmente, car on chauffe la cocotte,
- V : constante, car le volume de la cocotte est inchangé. En pratique, elle se dilate, mais la variation du volume est négligeable devant l'influence de la température.
L'augmentation de la pression pousse donc de tous les côtés à la fois. Tout ce qui augmente sur les faces internes est contenu par la rigidité et la résistance du métal. Une cocotte avec un matériau souple, comme un ballon de baudruche, augmenterait de volume : l'équilibre se fait non plus uniquement avec l'extérieur, mais avec l'élasticité du ballon qui va chercher à retrouver sa taille initiale.
La seule élasticité disponible dans la cocotte-minute vient du piston qui est retenu par le ressort. Par conséquent, la pression interne va pousser le piston vers le haut. Plus la pression augmente, plus le ressort s'oppose à la pression interne.
La sécurité
L'une des sécurités de l'autocuiseur que je possède est que si la pression augmente trop, le piston se déplace au-delà de la seconde barre, jusqu'à découvrir un trou percé dans le cylindre qui contient le piston. Par conséquent, la pression s'échappe brusquement par ce passage, jusqu'à ce qu'elle diminue suffisamment pour que le piston redescende assez pour boucher cette échappatoire.
Et ma température ?
Toute cette explication est bien belle, mais on ne sait toujours pas quelle est la température dans la cocotte lorsqu'on atteint la première barre, puis la seconde.
Mesures directes
Pour mesurer la température, plusieurs solutions directes s'offrent à nous :
- Une première idée pourrait être d'y mettre un thermomètre dedans pour y mesurer directement la température. Malheureusement, je n'ai aucun thermomètre permettant de résister à de telles températures.
- L'utilisation d'une sonde déportée avec un thermocouple pourrait être une solution s'il ne fallait pas faire passer des fils pour effectuer la mesure à une température plus confortable. Il est néanmoins probable que la température externe de la cocotte soit très proche de la température interne, ce qui serait acceptable si j'avais de quoi mesurer des températures plus élevées qu'une cinquantaine de degrés Celsius.
- L'utilisation d'une caméra thermique pour mesurer la surface externe. Encore une fois, c'est peine perdue car je n'en ai pas.
Tout ça est bien joli, mais du coup, je ne suis pas plus avancé. Je vais devoir ruser.
Mesure indirecte
Il est relativement courant de procéder à une mesure indirecte dans les cas ou la grandeur que l'on veut mesurer n'est pas accessible (facilement). Plutôt que de chercher des solutions nécessitant du matériel que je ne possède pas, je fais renverser le problème et jouer à MacGyver en annonçant que j'ai de quoi mesurer :
- Des longueurs, avec un mètre ruban de poche,
- Des masses, avec une balance de cuisine.
Dans notre cas, le phénomène le plus apparent est le déplacement du piston. Ce n'est pas exploitable, car je veux justement savoir quelle est la température dans la cocotte pour un déplacement donné. Dans mon cas, j'ai deux traits d'indication, mais sans plus de détails. En pratique, il n'y a que quelques millimètres de déplacement pour chaque trait. Autrement dit, j'ai déjà sur la marmite un moyen de mesurer un déplacement, donc le mètre-ruban est inutile.
La grandeur que je vais exploiter est la force de rappel du ressort. En effet, le ressort ne fait rien à température ambiante, mais s'oppose de plus en plus au fur et à mesure que la pression interne à la cocotte-minute augmente et que le piston se déplace. Je vais donc mesurer avec la balance la masse équivalente nécessaire à appliquer au ressort pour faire le même déplacement que la pression pour la barre 1 et la barre 2.
Grâce à ce fantastique montage d'un professionnalisme éclatant, les valeurs que j'obtiens sont les suivantes :
- barre 1 : 322g, 313g
- barre 2 : 546g, 555g
Alors avant de faire le moindre calcul, il y a une certaine incertitude qui vient des facteurs suivants :
- Il faut que la ficelle qui va du piston au plateau de la balance soit correctement positionnée pour le pas glisser des bords du plateau rond et tombe.
- Il faut que la ficelle tire bien le piston dans l'axe, autrement il y a des frottements sur les parois. Typiquement, tirer le piston latéralement ne le fait pas bouger, même si la force exercée est extrêmement importante.
- Le positionnement de la barre pour être considérée atteinte ou non est mal défini. Ce n'est pas un système de précision avec un joli vernier pour faire des mesures de qualité.
- Et surtout, faire tout ça d'une main, avec une autre pour prendre des photos pour illustrer cet article !
La formule de Duperray
Sans se jeter dans une étude théorique thermodynamique de la situation, on va utiliser une loi empirique qui permet de calculer la pression de vapeur saturante de l'eau en fonction de la température, à savoir la formule de Duperray (P=(T/100)^4, avec P en atmosphères et T en degrés Celsius). La partie cruciale de la phrase précédente est pression de vapeur saturante, ce qui implique qu'il y a un équilibre entre la quantité d'eau sous forme liquide et gazeuse. Si la cocotte-minute chauffe "à sec", la température augmente beaucoup plus que l'expansion du gaz.
Prise à l'envers (T = 100 * P^(1/4)), on trouve que... rien du tout ! Il faut transformer les grammes de la balance en une pression en atmosphères. Or, une pression, c'est une force sur une surface. La surface de mon piston projetée selon l'axe de déplacement du piston (c'est-à-dire l'axe selon laquelle la pression peut le faire le bouger) est un cercle d'un centimètre de diamètre, donc la pression estimée est de 3.4 atmosphères pour la moyenne des mesures à la barre 2.
Maintenant que toutes les valeurs sont présentes, j'obtiens :
Après avoir vérifié sur Internet, la valeur de 118 °C n'est pas totalement déconnante. Je n'ai pas vu beaucoup de températures au-delà de 120 °C. Quoi qu'il en soit, je suis plutôt satisfait des résultat au vu des approximations faites et de la qualité des mesures effectuées.
J'ai par ailleurs une autre valve de sécurité qui utilise le même principe, avec des caractéristiques un peu différentes (650 g avant ouverture, et diamètre de 6 mm), et qui laisse échapper la vapeur lorsque la température atteint 160 °C, soit 6.8 bars.